Dans ce monde-là


Alors que la veuve Zéphirine était en train de jouer de l'orgue dans le salon, j'ai fermé les yeux un instant et poussé par une dernière gorgée, j'ai glissé doucement sans m'en rendre compte entre ce monde-ci et ce monde-là. La frontière venait d'être franchi. Je continuais à glisser tout en gardant les yeux fermés jusqu'à ce que 40Watts d'un film porno évoquant la franche camaraderie en milieu carcérale a un effet des plus rapides sur mon réveil. Zéphirine se tient debout à coté de moi, les bras tombants elle me fixe sans cligner des yeux. Je crois que je suis éveillé, mais mon fauteuil est de plus en plus mou et je ne peux pas en décoller. Je n'ai plus de bras, ni de jambes. En fait si, mais ce ne sont pas mes membres. La robe de Zéphirine est ensanglantée, mais sur cette terre d'asile, je m'échappe de ce monde-ci, c'est une taverne ouverte, une confrérie accueillant les gens les plus divers. On y vient reprendre son souffle, le temps de retrouver ses esprits. Les plus désespérés y élisent domicile, les plus lucides aussi. Ça arrive. Il suffit d'un premier verre. Et on trinque à la gloire de nos cerveaux branchés sur les générateurs nucléaires manipulés par les vautours et les hommes pressés d'un monde hétéroclite retranché dans une cruelle et froide réalité qui nous lobotomise en douceur par la carotte que l'on nous met sous le nez. Ici, je suis à l'abri jusqu'à ce que le dernier verre soit vidé, jusqu'à la prochaine respiration. Ce monde-ci auquel je suis condamné, comme les autres, je m'en échappe le temps d'un long voyage. Jusqu'à ce que tout tourne, et puis tout devient de plus en plus sombre. Je deviens alors un tombeau dans un tambour de machine à laver avec de la vaseline-coupe-mots dans la bouche et j'ai beau courir après mon squelette, je reste à l'ombre de mon ivresse.
Et de ce côté de la frontière, ce monde-là a presque tout pour lui, le passé n'existe plus, et l'avenir est absent. Il donne envie d'exister, faute de promettre de vivre. Dans ce monde-là où par le plus grand des hasard qui coule dans mes veines, je peux me retrouver à danser avec une veuve quinquagénaire que j'aurais imaginé dans l'un de mes rêves. À l'étage des soiffards, la réalité est une fiction qui n'en est plus une et il vaut mieux y venir en militant de joie fatigué pour reprendre son souffle. Car dès lors qu'on y cherche un bonheur pour panser la plaie du moment et qu'on tente de le fuir, il devient prison, on ne vis pas en marge de ce monde-là et il finit toujours par faire payer cher tous ceux qui ont la faiblesse de poser leur main sur une bouteille pour y trouver refuge. Mais l'ennuie, c'est que même si le morceau d'orgue qui résonnait dans ma tête était une symphonie heureuse, au réveil, je vomirai toutes ces choses dont je ne me souviendrai plus... «- Zéphirine, prépare moi la bassine s'il te plaît.»






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