L'avenir entre nos mains


J’avais décidé de sortir. J’avais décidé d’échapper à cette atmosphère lourde, confinée, irrespirable, à laquelle je m’étais presque condamnée depuis le début de la matinée. Prendre la voiture. Rouler loin de cette ville. Retrouver la verdure et l’oxygène qui me manquaient.

Alors je suis retournée dans ce village qu’un jour j’avais traversé furtivement. Un village comme je les aime avec une petite place, une boulangerie ridée par les années, et des bancs pour refaire le monde. Un petit village à taille humaine où le temps est suspendu au clocher de l’église et où les solitudes croisent d’autres solitudes sans jamais se fuir.
C’est donc là que je me suis installée : sur ce petit banc de bois terni par les années mais encore riche de toutes les conversations qui avaient pu s’y tenir depuis son installation. Je me suis assise et j’ai fermé les yeux, convaincue que le silence aussi s’apprivoise.

La petite sonnette de la boulangerie a retenti plusieurs fois, des bruits de pas foulant le sol jonché de feuilles mortes, et cette symphonie improvisée m’ont immédiatement apaisée. J’ai ouvert les yeux et c’est à ce moment là que la grosse porte de bois s’est ouverte, la porte de l’église que j’avais observée tout à l’heure en arrivant.
Elle s’est ouverte, faisant place à un cortège d’yeux embrumés, de costumes sombres et de larmes à peine séchées. Une petite fille est sortie en courant. Elle tenait une poupée fermement contre son cœur. Elle m’a rejoint sur le banc aux mille secrets et sans dire un mot m’a souri.
Sa petite robe fleurie et ses ballerines assorties étaient comme un hymne à la vie, une promesse de lendemains bien meilleurs que cette funeste journée.
« Mon pépé est mort » : c’est elle qui rompit le silence la première.

Elle devait avoir huit ou neuf ans, pas plus, et son sourire timide illuminait son petit visage fatigué. La poupée se tenait entre elle et moi.
« Tu as une bien jolie poupée, comment s’appelle t’elle ? »
« Je ne sais pas. C’est maman qui me l’a donnée ce matin. Le père Noël lui avait ramenée quand elle était petite ».
J’ai compris quelle place pouvait tenir cette poupée en ce jour si particulier. Témoin d’une époque révolue, passagère du temps qui passe et fil tendu vers l’avenir. Je l’ai posée sur ses genoux :
« Il va falloir que tu t’occupes bien de cette jolie petite demoiselle, elle aura besoin de toi »
La petite fille s’est levée et a rejoint sa maman aux yeux rougis par le chagrin.
C’est alors que pour conduire le pépé au cimetière, une petite musique que je connaissais bien a résonné sur la place de l’église. Une musique célébrant la mine et les mineurs de fond, la musique de ma terre natale en quelque sorte. La musique d’un après-midi d’automne pas comme les autres. Le pépé était mineur et comme pour bon nombre de ses amis, c’est la silicose qui avait eu le dernier mot.

Je fermais à nouveau les yeux, le cœur ému et la tête chargée d’images.
C’est alors qu’en rêvant je vis la maman et la poupée accueillant le papa au visage noirci et fatigué. C’est alors que le temps s’enroula sur lui-même et que j’imaginais tous ces moments dont seule la petite poupée aux cheveux crépus avait le secret.
Des moments difficiles, alourdis par le travail à la mine, mais aussi des moments de vrai bonheur lorsque le soir, le papa pouvait serrer très fort contre lui sa femme et sa petite fille, comme pour hurler un grand OUI à la vie.

Je me suis levée bouleversée et heureuse.
En reprenant la route, j’ai regardé le terril, riches d’histoires et de drames et j’y ai vu bien plus de choses qu’un amas de charbon.
En reprenant la route, j’ai compris au combien nous étions passagers du temps, riches de notre passé, avec l’avenir entre nos mains.



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