Petite femme


Soir d'hiver, dans une minuscule ville, à l'intérieur d'un minuscule appartement : le décor est planté ...
Elle, c'est une femme, une toute petite femme, enfin sur sa carte d'identité, parce que dans l'âme et dans le coeur, elle a tout d'une enfant ...
Il est 17 heures, elle a horreur de ce moment ... la journée n'est pas encore finie, et pourtant le soir approche à grands pas ... son corps se fait lourd, ses épaules s'engourdissent, elle a mille désirs mais pas une once d'énergie pour se bouger ... Elle est là, presque inerte, à contempler le vide de sa petite vie, à se confronter à ses peurs, à ses manques ... Elle sent que quelque chose ne va pas, elle sent qu'elle va perdre pieds dans quelques minutes pour vivre cet enfer qui lui fait si peur : la prise de conscience du Rien, de l'Abscence, de l'Absurdité du monde dans lequel elle se meut depuis sa naissance ... Elle se regarde vivre et le néant de sa propre existence lui fait froid dans le dos.
Dehors, la neige tombe à gros flocons. Elle aime tellement ça d'habitude..mais là rien ne la touche ou plutot tout la touche de plein fouet... C'est trop, beaucoup trop ... ça va exploser, ou imploser, mais ça ne peut pas rester ainsi, en l'état, les braises vont finir par s'enflammer pour la consumer ...
A sa naissance, ses parents constatant son extrême sensibilité, avaient décidé de l'emmener dans une clinique spécialisée pour hyper sensibles, afin d'obtenir plus d'informations sur ce mal qui la rongeait : en effet, on pouvait voir se dessiner sous ses yeux de grosses cernes noires, témoins des longues heures où elle avait pleuré et encaissé l'abscence de sa maman, et elle refusait très souvent de s'alimenter ce qui la rendait chétive, et sans couleurs ...
Le professeur Grabouilla avait posé très vite un diagnostic : " votre fille souffre hypersensibilité" avait-il lâché ... pour sûr, la vie n'allait pas être simple pour cette enfant... On lui avait donc placé un petit détecteur juste à côté du coeur, destiné à lancer l'alarme quand la douleur deviendrait trop brûlante.
Depuis l'opération, ses larmes avaient déjà maintes et maintes fois coulé, son coeur s'était serré des centaines de fois, jusqu'à lui coller la nausée et la dégoûter d'elle même... Mais jamais l'alarme n'avait retenti ...
Mais ce soir, s'en est trop, le détecteur se met en branle et laisse Ondine incrédule : elle a oublié la présence de ce dispositif à l'intérieur de son corps... mais lui se rappelle à elle. Ca hurle, ça hurle tellement qu'elle se bouche les oreilles et se met elle même à hurler de toutes ses forces pour que cesse ce vacarme insoutenable ...
Et d'un coup, plus rien ... un silence implacable s'installe dans la pièce ...
Elle se tient là, sur sa chaise, elle a mal partout, son corps entier la fait souffrir. La douleur morale s'est transformée en douleur physique et c'est insupportable ...
Elle est incapable de bouger, même un petit doigt ... non, c'est trop dur ... ça fait trop mal ...
Soudain, sur sa joue, elle sent une caresse d'une douceur jusque là inexplorée ... c'est tellement chaud, c'est tellement bon, c'est tellement apaisant ... Elle se laisse emporter par ces sensations inconnues, elle se laisse embarquer sur un territoire resté jusqu'à ce moment précis totalement étranger à sa vie ...
Les caresses l'enveloppent, les caresses apaisent déjà la douleur qui la tenaille depuis 30 ans ... C'est magique ... Elle ouvre doucement les yeux ...
Devant elle se tient un homme au sourire délicat, il n'est ni beau ni laid, mais sa présence suffit à rassurer la jeune femme ... Bien au-delà des mots, les coeurs se parlent, les yeux se dévorent, ils font l'amour avec leurs âmes ... Il lui prend la main, lui pose un manteau de coton sur les épaules et l'entraîne au bout milieu de la nuit dans la blancheur de ce soir d'hiver pas comme les autres ...
Elle pose sa bouche sur la sienne et elle se sait déjà guérie ... la vie ne peut pas être absurde quand on sent à ce point l'amour et le désir au fond de ses tripes ...
Ses parents avaient donc tout prévu ... Ils savaient qu'un jour ou l'autre, à cause de cette maladie, le coeur allait crier au secours ... ils savaient que cette alarme éviterait l'implosion de son coeur fragiile ... Ils savaient qu'alors, ce serait le moment, l'ultime moment pour elle de découvrir ce que c'est qu'être aimée d'amour fou ...


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