Au quatrième top ...


Tu es là devant cette page qui s'étire à l'infini. Blanche et infinie la page ...Ta mission, si tu l'acceptes, va consister à poser sur cet espace des mots balisant un des itinéraires de ton enfance.
Tu t'insinues au plus profond de tes souvenirs, des images s'imposent, là, comme ça, comme s'il ne s'agissait que d'ouvrir une porte, inconnue jusqu'à présent.
La porte s'ouvre donc. Tu es en retard, comme d'habitude, les pendules, les horaires, les sonneries, le bus de 13H12, tout ça, c'est agressif, pesant, intrusif et oppressant.
Dans l'ascenseur, tu croises madame Lamentin, la voisine du dessus qui descend an chaussons chercher son courrier. Tu as juste quelques secondes pour lacer tes chaussures, tu le sais trop : courir les lacets défaits n'est pas un gage de rapidité. Tu habites au second, il va falloir faire vite.
Dans le hall, les petites mémés se sont retrouvées autour des boites aux lettres taguées.
Rendez-vous quotidien, monsieur Lécuyer, avec son caddie jaune, amène un peu d'inattendu dans leurs vies probablement trop bercées par les habitudes.
La porte d'entrée claque, tu dévales les escaliers avec ce fichu sac qui te broie le dos.
Madame Rivière promène son caniche, le chien aboie à ton passage comme pour te dire : "Tu vas encore être en retard! tu vas rater le bus !"
Le parking semble plus grand encore qu'hier...ils ont du rajouter des places, Monsieur Roger en avait fait la demande auprès de l'office des HLM l'an dernier. Cette nuit, ils ont du venir avec des tracto-pelles, avec les bennes à ordures et le ciment, ils ont du tout casser puis tout reconstruire à vitesse grand V cette nuit pendant que tu dormais. Tu n'as rien entendu, fatiguée comme tu es avec ces soirées-versions latines et dissertations philosophiques.
Le panneau stop est enfin à portée de Kicker's , il faut encore descendre la rue Boileau, l'arrêt de bus n'est plus très loin.
Le ticket est dans la poche de ta veste. Non, dans ton cartable. Ou plutôt dans ton cahier de textes... Vite ! 13H12 a retenti dans ton chronomètre intérieur, celui qui te dévore un peu plus chaque jour .... le bus démarre, et tu essaies de reprendre ton souffle au milieu de ces visages anonymes, tristes et résignés.
Devant l'arrêt du centre commercial, les enfants profitent de leurs dernières minutes de liberté.
Dans la rue du Cateau, le fleuriste sort les bouquets les moins frileux.
Le bus de la ligne numéro 1 franchit la place aux Grenouilles, tu vas devoir retrouver du courage pour remonter cette rue qui grimpe à n'en plus finir.
49-47-45-43-41-39-37...successions de nombres que tu décortiques, additionnes, et démontes jusqu'à épuisement de la pensée.
L'air de rien, ça te permet d'oublier un peu la douleur physique et la sonnerie de 13H30.
Tu rêves d'un monde sans montres ni horloge parlante, un monde juste rythmé par tes envies et tes rêves.... Tu le sais bien que c'est impossible, la grille verte de ton collège te le rappelle: monsieur Faglin, le surveillant général, dans ses Moonboots immondes s'apprête à la refermer dans ce geste rodé et mécanique que tu connais trop.
La cour est déjà vide, tes copains montent les escaliers du fond. Tu cours encore un peu avec ce qu'il te reste d'énergie. Les arbres nus de la cours t'encouragent à ne pas baisser les bras devant tant de contraintes....
La prof de philo est en retard ...


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