Paletot gris anthracite. Ombres vieillies par le temps, les poussières, le travail, la vie. Des poches un peu malmenées, qui n'ont jamais trahi leur secret. Poches à mouchoirs, poches à bonbons, poches à cigares, poches à questions. Elles ont abrité des mains rongées par le travail, nettoyées par le vent. Poches à questions, elles ont senti les doigts se tordre, les ongles se rétrécir. Poches à émotions, elles ont senti ce coeur battre jusqu'au bout des phalanges. Poches à espoirs, elles ont un jour bercé des mains devenues soudain légères et libres d'embrasser la vie. Poches boutonnées, poches froissées, témoins de ce temps qui passe, qu'on arrache.
Je ne pense pas qu'elle sera là ce soir au café de la Grand Place. Les enfants seront couchés et elle n'aura pas osé demander à Fernande de s'en occuper. J'aurais tellement aimé qu'elle pense à elle, juste une soirée, juste quelques heures. Je devine qu'Adrien aurait eu un petit oeil discret et coquin pour lui reluquer les jambes. Elle est tellement belle ma Mireille...
Cette fichue journée s'achève. Une journée qui réduit à néant la force physique qui me caractérise. Mais l'essentiel est bien là : mes amis sont à mes côtés...
On a partagé les embuches, nos dos se sont courbés en même temps, la terre nous a salis de la même façon, et ce soir on partagera la même table. Du vin, de la carbonnade, de la vie et la vie revêt ses habits de fête. A croire qu'on ne vit finalement que pour ça: partager un bon repas, rire pour un rien, oublier à tout prix cette guerre qui ne nous a pas anéantis. Il nous en faut bien plus que ça !
Alors quand la musique commencera, moi je fermerai les yeux et je serrerai très fort en rêve les mains de ma Mireille. On est en vie bon sang !
Georges n'a rien laissé de côté : il a prévu une bouteille en plus au cas où la patronne serait à sec. Sacré Georges ! Je parie fort que le vélo dessinera de belles volutes sur la route quand il rentrera chez lui tout à l'heure la bouteille vide et le coeur plein. La Lune l'aidera à retrouver sa maison, je ne m'inquiète pas pour lui.
Paul n'est pas très causant ... son petit chat est mort hier ...empoisonné ...il a survécu à la guerre, pas au cianure . Le pauvre a du se séparer de son compagnon de couverture ...
Allez Paul ... accroche-toi à notre amitié ! Ma main t'est tendue pour l'éternité. Pour toi, mon ami, je fais un pas vers le futur, juste pour te rassurer ...
J'y découvre des personnages inconnus, mais pourtant familiers. Quelques heures supplémentaires auraient suffi pour lever le voile, faire parler les visages, écouter les voix.
Derrière ces regards, des vies ...peut-être liées à la mienne par un fil de soie invisible.
Des vies passées, mais tellement présentes par leur mystère. Le noir et le blanc témoignent d'une époque que je n'ai pas connue, que je n'ai pas connue, que je n'ai pas ressentie.
Ces sourires d'après-guerre délivrent un message puissant, un message d'hommes libres et amoureux de la vie, c'est ainsi que je l'ai décidé.
Le temps qui passe laisse sur nos visages des traces, mais dans mon coeur, ma grand-mère aura toujours vingt ans ....
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