Les lettres d'amour


Je me suis toujours demandé comment on écrivait une lettre d’amour, une lettre pleine de passion avec des beaux sentiments. Comment ne pas tricher en écrivant des mots qui n'existent pas. Tu sais, j'aimerais savoir faire. Peut-être qu’un jour, je pourrais t'en écrire une, une belle, une vraie, avec un beau papier, une belle enveloppe. Puis je collerais de toute ma salive un timbre rouge dessus. Tu sais, quand je suis devant toi, je ne dis rien. Un rien m'impressionne, tout m'impressionne, les gens qui parlent trop m'impressionne. Moi j'aime le silence, et les yeux qui racontent tout. Mais si je ne peux te regarder, comment peux-tu entendre ce que j'ai sur le cœur ? Tu sais, je ne décroche jamais mon téléphone et je sais que tu n'aimes pas les textos. Alors je me suis promis qu'un jour, je t'écrirais une belle lettre d'amour. J'écrirais dedans que j’espère de tout mon cœur que tu vas bien, mais que je serais déçu, déçu de ne pouvoir libérer nos papillons. Et moi, assis devant le papier, je serais déçu. Déçu par mon manque de courage. De ne pas pouvoir comprendre. J'aimerais te dire tant de choses, et comme je n'y arrive pas, j’ai écrit encore et encore sans vraiment apprendre, à comprendre à quoi tout cela allait servir. À me servir, à nous servir. Un jour promis, je trouverais. Je pense que la clef est mon stylo et que cette lettre me servira à te dire la vérité. Ne plus me mentir, ne plus m'enfuir et pouvoir me cacher dans cette enveloppe. Comme ça, je me ferais tout petit pour rester discret et je te regarderais lire mes mots en imaginant mon âme aspirée par tes lèvres qui chuchoteront ma fragile déclaration. 






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Alternatives


Attendre, hésiter, ne plus savoir.
Faire demi-tour. Avancer à reculons.
Idées noires ou blanches ?
S’envoler sur Mars ou Jupiter ?
Envisager le pire ou le meilleur ?
S’étendre sur la question comme sur un canapé moelleux, s’y frotter, s’y piquer.
Y penser en couleurs ou en noir et blanc ?
Le choix ...
D’abord minuscule, gonfle, devient caillou, puis rocher ...
Je grimpe dessus, enfin ...
Rester ici ou fuir ailleurs ?
Rester ailleurs ou fuir ici ?
Le faire quand même, franchir le pas.
Pourquoi ? Comment ?
La question est épineuse, s’agit-il du chaud ou du froid ? D’être ou de ne pas être soi ?
Il est temps... à force d’hésiter, je ne sais plus choisir.
Choisir c’est renoncer.
Je ne renonce à rien. Je choisis tout se qui penche du coté de la vie.
Jamais plus le néant.
Alors j’avance, n’attendant plus rien mais désirant tout.





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Automne amoureux


Quand je mets à vos pieds mes racines
J’imagine mes graines déjà de nous cimes
Voulez-vous qu’en haut de l’arbre
Je me fasse argile plutôt que marbre ?
Que pour vous dansent les écureuils
Des slows, des rocks and roll de feuilles en feuilles ?
Je vous chéris douce souche
Tant qu’à propos de vous mon encre sur papier de soie
Se couche
Couché sur nos bouches folles
Tant de rimes que nos failles s’étiolent
Avec soin je touche votre écorce ...
Vous saurez à quel point je vous aime
Si peut-être vous frissonnez à la lecture de ce poème




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A te regarder ils s'habitueront


Ne surtout pas prendre les chemins de traverse. Ne surtout pas prendre les chemins de traverse. Ne surtout pas prendre les chemins de traverse. Ne surtout pas prendre les chemins de traverse...
C'est ce qu'elle se répétait sans pause en regagnant le parking souterrain du supermarché.
La matinée, à l'image de ce qui semblait bien être sa vie entière, avait été sombre, sans goût, transparente et quasi insipide... à cela près qu'elle venait de se terminer par une gigantesque explosion à l'intérieur de sa tête.


Une explosion d'évidences, en habits de fête, faisant suite à d'interminables questionnements bombardés de peurs, venait d'avoir lieu. Tout autour, durant toutes ces années, la vie avait continué. Le monde avait poursuivi sa course folle, entraînant avec lui des milliards d'humains installés dans des trains dont on ne connaît pas la destination. 
Sa vie avait subi de sacrées secousses,des pannes interminables, des arrêts d'urgence au milieu de trajets au long cours, des heures d'errance sur les quais de gare de villes inconnues. Les idées penchées au bord du vide, elle avait failli plus d'une fois sombrer dans le néant. Mais elle s'était accrochée comme elle avait pu au siège de la locomotive. Ne renonçant jamais à vivre malgré tout. 
Mais ce midi avait belle allure. De même que sa démarche. On voyait à sa trajectoire qu'elle n'était vraiment plus la même. Des années d'errance. Une explosion. Une métamorphose. Une rencontre incongrue d'elle avec elle-même. 
Ne pas rester en plan une seconde de plus. Accuser les coups, abolir les trous béants laissés par d'infertiles luttes. Il s'agit désormais de vivre. Enfin. Elle est bien plus forte que ce ramassis de peurs anesthésiantes. Il est temps qu'elle prenne les commandes, en laissant derrière tout ce qui, finalement n'était pas elle. 
L'heure a sonné, les horloges tournent à une vitesse folle, le temps s'emballe. Ca lui flanque un vertige pas possible, une euphorie incroyable. Ses idées prennent vie, enfin. Elles s'insinuent dans chaque pore de sa peau, au creux de son ventre, à l'intérieur de ses mains. 
Elle vient de faire un bond en avant phénoménal, réveillée en sursaut d'une vie complètement endormie.
Ne surtout pas prendre les chemins de traverse et emprunter les détours, les trajectoires non balisées, se risquer à être vraiment. Quitte à se faire mal. Voilà le voyage qu'elle souhaite accomplir jusqu'à la dernière gare.



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Au nom de l'ivresse


Un jour, ma tête s'est posée sur son ventre, je regardais le plafond, laissant mon esprit s’égarer quelques minutes. Je ne pensais à rien, mon cerveau se vidait de toute préoccupation, de toutes questions. Je laissais les sentiments devenir maîtres de mon corps et de mon esprit. Tant pis et tant mieux, une belle sensation me traversait de la tête aux pieds, je frémissais et j’en profitais pour lui déposer une bise dans le creux de son cou, et une sur ses lèvres tièdes et douces.

Je continue de me laisser bercer par ces sentiments magnifiques qui m’envahissent. Comme toujours, je souris bêtement devant ce bien-être inégalable et indescriptible que la vie a voulu m’offrir par un des plus simples hasards. Encore un.
Cette sensation est douce, cette évasion est délicieuse.
C'est l'aventure de la vie
Et si elle nous permet d’en vivre une,
quelle qu’elle soit,
Même juste y goûter une seule fois.
L’histoire dont nous serons les héros
à celle qu’on s’apprête à commencer
à celle qui va se terminer
à celle qui ne s'arrête jamais
Ça sera intense
et magnifique
Bouleversant et ravageant
quand l'infinie tendresse de deux corps collés ensemble, transpirent au nom de l'ivresse.






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Le fil de soie


Suspendue. Voilà comme je suis. 
Entre Rien et Tout.
Entre Néant et Plénitude. 
Entre Euphorie et Désespérance. 
Suspendue, au bout d'un fil de soie sauvage soumis aux caprices de l'existence. 
Définitivement accrochée à ce balancier intrépide, je me pose quelques instants et observe la mécanique. 
A force d'en découdre avec ma propre vie, de sentir tour à tour la souffrance et l'euphorie, comme dans un jeu dont je ne connaîtrais pas les règles, j'ai décidé de prendre le large. Quitter le rivage pour comprendre ce qui se joue dans ces allers-retours entre de la vie qui saigne et de la vie qui exulte. 
J'ai vu des rires, des larmes, des heures qui s'étirent indéfiniment, des secondes intrépides, des doutes qui piquent le coeur et des certitudes enivrantes, des liens qui se déchirent et des amitiés qui se renforcent, de la haine et de l'amour, de la beauté à vous rompre les amarres et de la laideur qui désespère. 
J'ai vu la mort en face, je l'ai touchée du doigt et j'ai aussi ressenti la vie puissance mille.
Autant de distorsions dans le flux de mon existence. Autant de blessures à vif, de cicatrices à peine refermées et de baumes au coeur. 
Et dans ce va-et-vient auquel je ne comprends pas grand chose, j' ai du mal à me repérer. Accrochée à cette peur presque indescriptible qu'on me reprenne ceux que j'aime, j'ai toute la misère du monde à vivre comme si de rien n'était.
Si seulement la fin de la vie n'était qu'une rumeur ... Je déciderais alors de ne pas y croire et de faire comme si ... Mais trop souvent je me suis cognée dessus et maintenant je la guette à chaque coin de rue. 
Je voudrais vivre comme si de rien n'était, immergée par tous les pores de ma peau dans une insouciance consentie. Ressentir enfin la paix d'exister sans trembler devant la mort qu'on nous promet. 
Aveu de faiblesse, impudique au possible, il était temps que je l'écrive pour lui faire face et peut être l'anéantir. 
A l'aube de mes quarante ans.




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Juste avant la nuit


De la lumière ne sort vraiment rien de bon, à part la nuit. 
Cette journée n'en finit pas de commencer. Comme si le temps avait aboli l'écoulement des heures, la valse des minutes et l'entêtement des secondes. Je n'arrive pas à prendre le dessus, je n'aime définitivement pas les matins. Aucun commencement qui vaille, aucun soleil qui me prendrait par la main pour me signifier que ça vaut encore le coup. 
De ma chambre, abritée sous la couette, ce monde me fait peur. Trop de bruits. Trop d'inconnu. Trop d'étrangeté. Comme une menace sournoise, planquée dans les murs de ma vie. Et je suis lassée de me battre contre cet incommensurable désordre. 
Hier, pourtant, j'ai mis le nez dehors. Il paraitrait que lorsqu'il fait beau, tout est plus simple. Comme si le soleil gommait miraculeusement ce qu'on a de plus sombre en soi. J'ai traversé le quartier avec le regard d'une étrangère, une solitude implacable et douloureuse m'a emprisonnée avec mes peurs les plus acérées. J'ai marché jusqu'au Quai du Wault à l'abri de la foule et j'ai tenté de ramener un peu de calme à l'intérieur de mes cellules, tentant de faire le vide dans ce fatras d'idées noires et obsessionnelles. J'ai senti le soleil réchauffer mon corps douloureux, j'ai fermé les yeux comme pour reprendre vie dans la vie. En vain. Comme si la peur avait pris possession de mes pensées les plus infimes, elle ne m'a pas laissée en paix. Je crois que cette succession d'épreuves à laquelle est soumise ma vie m'a réduite à n'être plus que le fantôme de moi-même. J'accuse le coup, et je manque affreusement d'oxygène. Je m'enfonce dans d'innombrables pensées, et je suis engluée dans une peur infinie de tout. 
Dans l'appartement, le silence est de plomb. J'aime ça. C'est reposant et ça laisse un peu de place aux rêves qu'il me semble encore avoir la force de construire. C'est juste que ce corps lourd à porter et ces idées vêtues de noir ont trop souvent le dernier mot. Cette nuit encore, j'ai rêvé. J'étais seule dans une maison sans meubles et sans âme. J'avais peur de traverser la pièce qui me faisait face, mais je savais qu'il allait pourtant falloir franchir le pas. En avançant dans l'obscurité, il me semblait distinguer de la lumière sous la porte, comme si cet endroit de la maison avait été épargné de l'obscur et du ténébreux. J'ai ouvert la porte. Un homme vêtu de noir se tenait face à la fenêtre et son visage semblait avoir absorbé toute la luminosité du dehors. Je l'observais sans crainte, attirée par l'étrangeté qu'il dégageait. Il ne m'a rien dit, il ne m'a pas remarquée, et j'ai ainsi pu contempler l'infinie poésie de sa présence.
Ce matin encore, ce rêve me colle à la peau. J'essaie d'en cerner le sens, d'en mesurer la portée. 
Je ne sais pas si j'ai raison de le faire, mais je sais que je vais devoir lui parler. J'ignore encore comment, mais c'est l'inextricable épreuve à laquelle je dois soumettre ma vie. 
Je m'habille avec dégoût, je n'ai plus envie d'être jolie depuis longtemps. Je ne sais pas quelle heure il est, et je m'en moque. Je dois sortir, c'est impératif. Quitte à subir les coups de sabre de mes pensées les plus tranchantes. Je ne suis pas qu'un nombril agrémenté d'égoïsme sauvage. Je ne suis pas la seule âme perdue ici. Il y a bien d'autres souffrances, bien d'autres vies cabossées qui se cherchent et qui saignent. 
Lui parler. Envahir de cris l'espace de ma vie. Hurler. Sortir de mes tripes d'incommensurables cortèges de mots jusqu'à ce que la douleur soit domptée, maîtrisée, complètement à ma merci. 
Le soleil décline. Je marche le dos voûté, en proie à de vives douleurs qui lassèrent ce corps négligé, en friche, à l'abandon. 
Lui parler. C'est peut-être la seule porte de sortie envisageable, l'issue de secours pour ma vie funambule. J'ai décidé d'y croire. De croire au fabuleux pouvoir des mots. Il faut maintenant leur ouvrir la cage, les apprivoiser. Je sais que c'est à mission qu'est suspendue ma petite vie. Ecrire à ce destinataire fabuleux qu'est sa propre existence. 
La nuit tombe sur la ville. De petites ailes me poussent au bout des doigts. L'égout sans fond de mes angoisses va peut-être trouver matière à s'exprimer. 
De retour à la maison, j'ai la sensation qu'une histoire commence, que le reflet de la Lune est encore plus sublime qu'hier, que tout n'est peut-être pas destiné au pire. 
Et ce peut-être m'enivre.





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Il y a des mots qui écrasent le coeur de bonheur.




16h30. Le ciel teinté de gris lui serre le coeur alors même que les étoiles et autres guirlandes de Noël illuminent la rue. Elle ne les voit pas.
17h. Elle retrouve la cuisine comme elle l'a laissée ce matin: la vaisselle de la veille, le sac poubelles qui n'est toujours pas sorti, les miettes de biscotte du petit-déjeuner.
17h01. Une énorme lassitude étreint son corps, une force vive, puissante qui prend possession de son âme toute entière. Il ne lui reste plus rien à quoi s'accrocher, même une minuscule parcelle de folie lui suffirait pour tenir encore debout. Mais rien, plus rien ne l'emballe. Elle est éteinte et entièrement soumise à l'indiscible sensation de vide qui l'habite.
17h15. Elle a rejoint le canapé rouge dans le salon. Blottie sous une couette couleur ciel étoilé, elle se laisse embarquer par une multitude d'idées empoisonnées qui s'emmêlent et s'insinuent dans la moindre parcelle de son être.
19h. Son corps a lâché: elle s'est endormie malgré l'invasion barbare d'idées noires. Elle s'est offert une parenthèse, elle s'est allongée sur un champs d'infinis possibles. Parce que son royaume à elle est invisible, caché derrière ses paupières fatiguées. Parce que rien ni personne ne peut atteindre le trésor qu'elle tient là bien à l'abri.
21h. Dans le silence de sa maison, elle ouvre les yeux. Pendant quelques secondes, elle oublie la bataille sanglante qui vient d'avoir lieu à l'intérieur de sa tête. Elle est encore derrière ses paupières, elle est encore corps et âme abandonnée à un ailleurs dont elle seule possède la clef.
21H10. Ses peurs l'ont rejointe, elle n'a pas réussi à les tenir hors de portée plus longtemps. Elle se lève, résignée à vivre cet enfer dont elle est le personnage principal dans le théâtre de son propre être.
Il y a pourtant tant d'appels à la vie dans son décor : des pages à remplir, des tissus à assembler, des possibles à définir ... Mais elle n'a pas la force de passer à l'acte. Elle se sent impuissante dans ce corps en vrac et terriblement fatigué.
21H30. Le téléphone sonne. Elle ne décroche pas ,elle préfère ne pas avoir à jouer la comédie cette fois. Elle veut juste être seule, et dormir.
21H45. Elle en arrive à se détester : tout ce temps rien que pour elle, elle n'en a rien fait. Elle tourne en rond dans son salon et dans sa propre existence. Et pourtant elle a les doigts capables de bâtir, les mains prêtes à caresser sa vie, le coeur avide de passer le cap, les idées qui ne demandent qu'à traverser le petit pont de pierres qui surplombe ses peurs les plus tenaces.
22H. Elle se dit déjà que demain le même scénario se reproduira, que toute la journée, au travail, elle imaginera comment insuffler un air nouveau à son existence, comment se fabriquer de petites bulles grisantes, comment oser enfin assassiner ses peurs. Et elle sait déjà que demain, la lassitude, l'épuisement et l'immensité de ses doutes la ramèneront au point zéro de ses résolutions.
22H25. Ca lui fait mal au ventre. Ca tape comme une tempête. Ca inonde son monde intérieur.
23H. Le téléphone sonne à nouveau. Cette fois elle décroche. Au bout du fil, les mots qu'elle n'attendait pas, la voix qui la surprend, la vie qui prend tout son sens : "je viens de lire ton petit livre, il faut écrire, c'est la vie, c'est ta vie !"
La sensation est délicieuse, d'autant plus exquise que c'est lui qui a pris le téléphone.
A l'autre bout du fil, l'homme ignore à quel point, désormais, elle se tiendra en équilibre sur ces mots-là.



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Le miroir


Devant la glace, le visage fatigué, la jeune femme semble avoir arrêté le temps. Dans la maison, la radio murmure les dernières informations: les mots tempête, accident, réveillon, circulation se mélangent sans poésie ni musique; lancés aux milliers d'oreilles plus ou moins attentives.
Joséphine réalise que cette année va prendre fin. Une année difficile, ępuisante, harrassante. Elle a pourtant espéré que les choses s'arrangent, que cette vilaine tempête qui s'abat sur sa vie cesse définitivement. Juste pour un peu de paix, juste pour reprendre un peu d'oxygène. Mais rien de cela n'est arrivé.

Les mauvaises nouvelles se sont accumulées, comme des tas d'ordures dégoulinant de fiante et d'immondices.

Devant la glace, elle retrouve l'amertume que les blessures infligent à son esprit, le découragement des lendemains qui ne chantent plus, les peurs qui se déploient à une vitesse ahurissante. Et c'est le dernier jour de l'année.

Est-ce que le calendrier pourra changer les choses et déposer sur son existence un peu de légèreté et de folie?

C'est ce dont elle se persuade en tous cas. Elle pense à ceux qu'elle aime tellement fort, qui font partie de son décor à jamais et cela lui fait pousser de petites ailes argentées sur son coeur qui bat au rythme de l'horloge du salon. 2014 à l'horizon et son lot d'inconnu comme la page d'un livre qu'on tourne avec curiosité et soif d'apprendre.





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Ticket gagnant


C'est une histoire peu banale. Une histoire de lune, d'astres et d'avion.
Oui, ça se passe en l'air. Il suffit de lever légèrement la tête vers le haut, il suffit d'écouter pour une fois ta voix d'enfant, il suffit de te laisser aller totalement et d'ôter de ta machine à penser toutes sortes d'élastiques trop tendus entre tes idées.
Tu le vois le petit funambule qui avance timidement mais sûrement sur la pointe des pieds ? Tu le vois oser prendre la trajectoire la plus risquée ? Tu remarques à quel point les rêves sont au zénith dans ton crâne?
Ce funambule, toi aussi tu le connais. Tu l'as certainement croisé un de ces soirs où tout t'es apparu si facile, un de ces jours où tu aurais traversé la terre pour hurler un "je t'aime" passionné à l'Océan Indien, ou à ce coucher de soleil terriblement poétique.
Alors je te raconte mon histoire.
K'autre soir, en marchant dans les feuilles que la pluie d'automne avait lavées, le corps tiraillé par de multiples douleurs, j'ai aperçu cet avion décollant d'une lune argentée en croissant. Cela n'a fait aucun doute dans mon esprit: quelques humains privilégiés probablement, VIP ou "backstage" comme on dit, avaient dû obtenir un ticket pour ce voyage incroyable. Ce voyage m'a tant fait vibrer depuis que je suis petite...
J'ai vu l'avion redescendre sur terre, j'ai vu le sourire des passagers sur le quai. J'ai alors compris qu'il ne s'agissait ni de gagner quelque ticket que ce soit, ni d'être estampillé VIP pour avoir le droit de participer à ce voyage extraordinaire.
J'ai atendu dans le hall d'accueil, et je me suis avancée vers un homme, un passager qui m'a semblé hors du temps, les yeux encore accrochés aux nuages. J'ai posé timidement ma main sur son épaule, histoire de ne pas le surprendre trop.
Ce n'était pas un chanceux, ni une star, ni un effronté: c'était un homme dont le bonheur rayonnait pour de vrai dans ses yeux et sur son visage rosé.
Il avait eu accés à quelque chose d'intouchable pour un terre à terre ou un cartésien convaincu.Il savait au fond de lui l'essentiel: que les voyages imaginaires étaient à sa portée et que d'sormais il lui suffirait d'un simple clignement d'oeil ou d'une espiègle pensée funambule pour que sa vie prenne une nouvelle dimension.
Alors, si tu le veux vraiment, tu peux toi aussi décider de poser tes bagages encombrants, d'abandonner tes calculs interminables et tes obligations insipides.
Tu peux toi aussi t'offrir le voyage le plus beau qui soit: ce sera le tien, il aura tes couleurs et ton parfum, et il t'emmènera fort loin dans le pays de ton imaginaire.





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Sa neuvième symphonie


Fulgurante tempête, tornade interne, explosion d'émotions. À cet instant précis, elle ne savait guère à quel genre de cataclysme elle avait à faire. Son univers intérieur, là sous la peau, invisible pour le reste du monde, était en proie à l'indicible. Elle qui n'avait d'yeux que pour les mots, inexorablement attirée par leur densité, leur saveur, elle n'avait rien à dire en cet instant précis. Peut-être s'agissait-il d'un état passager, d'une ultime transformation, d'un abandon total au monde de la vie.

En tout état de cause, l'heure était grave, elle le sentait. L'évidence d'une déconnexion absolument nécessaire. Elle avait hâte d'être délivrée. Et sa liberté, elle le savait aussi, elle l'incarnerait avec l'énergie de ses propres convictions.
Alors elle s'est levée. 
Premiers pas vers un ailleurs auquel elle désirait plus que tout autre chose coller de belles images. Sans réfléchir à quoi que ce soit, sans retourner la question, elle s'est levée. Elle n'était à cet instant qu'un seul mouvement. Ni femme, ni amie, ni fille. Un mouvement, juste. Un mouvement spontané, un pas-de-géant suspendu à la lune, un sursaut presque magique.
Elle a rejoint la petite barque près de la rivière. Sans bagages. Sans peurs. Avec avidité.
Regagner la mer patiemment, écouter la nature en soi, hurler dans le silence infini de l'océan. Voilà les rêves qui naissaient tout en ramant. Petit à petit, au rythme des vagues, elle reprenait vie. Son esprit lui revenait comme une symphonie qu'on découvre petit à petit à travers l'âme de son cœur.
Le voyage dans le minuscule bateau n'avait pas d'âge, affranchi du temps qui passe, il se moquait bien de ce vers quoi il allait. Il était sa propre force, son propre sens.
Elle, elle se laissait porter, abandonnée totalement au ciel d'avril.

S'en était fini de cette vie tiède. S'en était fini de ces nausées à répétitions. Le monde lui faisait bien trop mal pour continuer à y vivre de cette façon. De combien de gens sincères avait-elle été entourée ? Elle avait la sensation de s'être laissée berner plus d'une fois. Et à chaque fois qu'elle découvrait le masque d'une connaissance, d'un "ami" en qui elle avait cru, elle avait mal à en crever. Elle avait appris depuis peu, et à ses dépens, que le monde était une représentation théâtrale : celle d'une pièce dans laquelle chacun jouait pour son propre rôle, pour protéger son petit monde bien cloisonné. Et toute cette comédie suffisait désormais. C'était devenu imbuvable, comme une allergie mortelle.

Alors dans son tout petit bateau, bien assez grand pour transporter les rêves intacts qui avaient survécu au bouleversement climatique de son être, elle avait réuni l'essentiel : ses amis, les vrais, ceux qui existaient dans l'invisible aussi, discrets et authentiques, ses meilleurs souvenirs, son livre préféré : humain trop humain de Nietzsche, son chien, fidèle compagnon qui avait tout compris depuis bien longtemps et puis un peu d'amour pour elle-même, indispensable pour continuer la traversée.
Et restés sur la rive, cette fatigue portée comme un boulet, les douleurs infligées à son corps, les traumatismes, les trahisons, l'envie de mourir. Elle était enfin libre. Magnifique horizon. Porteur de toutes ses audaces et de toutes ses espérances.
Horizon poétiquement offert à la vie.

Elle savait désormais quelle partition elle souhaitait jouer. Une vie trempée de sincérité, vécue à fleur de peau, douce et puissante à la fois.

Roman


~


Il se tenait debout face à la mer. Celle-ci était déchaînée et les nuages gris étaient sur le point d'en faire autant. Hier, il venait de fêter ses quarante ans, d'abord en famille pour le repas de midi, et ensuite entre amis le soir. Histoire de marquer le coup comme on dit. Lui, il voulait toujours autre chose, mais machinalement, il suivait le rythme des personnes présentes dans sa vie. Une vie qu'il n'aimait pas, une vie facile, une vie qu'il aurait pu écrire avant d'être vécu. Trop facile. Mais que pouvait-il faire ? Claquer la porte au nez de ces gens-là ? Leur faire du mal pour quoi ? Oui, il n'aimait pas cette vie-là, mais ce n'était pas nécessaire d'en rajouter une couche. Avec le sourire, il avait depuis longtemps accepté son sort. Après tout...

Il se tenait debout face à la mer.
Une fois qu'il s'était levé et qu'il avait avalé un café, il avait pris sa moto et avait foncé en direction de la mer. Un mercredi après-midi en plein mois de novembre, il n'y avait personne. C'était son lieu magique, son ascenseur émotionnel, son sas d'oxygène. Aujourd'hui, il avait vraiment besoin de ça. Il fallait réfléchir, se redonner le moyen de croire en quelque chose qu'il avait depuis longtemps oublié.
Il marchait depuis une bonne heure, les poings serrés dans le fond de ses poches, le visage au chaud dans la capuche de son manteau lorsqu'il sortit de son sac son lecteur mp3. Il posa les écouteurs dans le creux de ses oreilles, et aléatoirement, il tomba sur la neuvième symphonie de Beethoven.

Il se tenait debout face à la mer... Et puis... Une chaleur incontrôlable s'empara de lui. Une profonde respiration, un sourire, il ferma les yeux. Volume à fond, embruns sur le visage, Ludwig déchaîna sa révolte dans les tympans et à l'esprit d'un gars qui ne demandait que ça. Au fur et à mesure que la musique hypnotisait son âme, que la puissance majestueuse des mélodies pénétrait dans tout son corps, il eut envie de hurler, de pleurer, de crier, de sauter, de se rouler par terre, de se toucher... Une lueur se mit à briller à la lisière de l'horizon, un rayon de soleil perça les nuages et dans un cri strident, il secoua toutes les violences qu'il voyait et qu'il entendait... En quelques minutes, il venait de tout comprendre. Face à la mer, seul, en ce moment précis, c'était lui le plus fort. Rien ne pouvait détruite ce qu'il envisageait de sa propre vie, de ses envies.

Il enfourcha sa moto et un sourire nouveau s'afficha sur son visage. Il venait enfin de dessiner les contours de sa propre symphonie, celle qui allait faire de lui le nouvel homme qu'il rêvait d'être.

Toni








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Ma campagne


Renverser les principes,
Annuler ce qui est scientifiquement prouvé,
Apprivoiser les hasards,
Embrasser tous les possibles,
Inventer des mondes nouveaux,
Hurler sa poésie,
Peindre ses rêves en multicolore, 
Casser tous les miroirs,
Tomber éperdument amoureux de l'aventure,
Ouvrir les yeux sur ce qui n'est pas beau au premier regard,
Tendre les bras vers le haut pour caresser les nuages,
Se moquer des bien pensants,
Oser la différence,
Partir pour l'amour du voyage,
Aimer pour défier le temps, 
Etre fou à lier,
Ecrire pour embraser sa vie,
Et cesser d'être grave.






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I have a dream


Qu'il ne soit plus seulement question de consommer, mais de choisir, 
qu'il ne soit plus seulement question d'effleurer, mais d'approfondir, 
qu'il ne soit plus seulement question d'interpréter, mais de chercher à la racine, 
qu'il ne soit plus seulement question de gagner, mais de participer, 
qu'il ne soit plus seulement question d'avoir, mais d'être, 
qu'il ne soit plus seulement question de paraître, mais d'exister, 
qu'il ne soit plus seulement question de prendre, mais de donner, 
qu'il ne soit plus seulement question d'entendre, mais d'écouter, 
qu'il ne soit plus seulement question de rêver, mais d'accomplir, 
qu'il ne soit plus seulement question de marcher, mais de voler, 
qu'il ne soit plus seulement question de vivre, mais de créer, 
qu'il ne soit plus seulement question de dire, mais d'hurler, 
qu'il ne soit plus seulement question de vieillir, mais de grandir, 
qu'il ne soit plus seulement question de s'enlacer, mais de s'unir, 
qu'il ne soit plus seulement question de récolter, mais de semer, 
qu'il ne soit plus seulement question de vouloir, mais de désirer, 
qu'il ne soit plus seulement question d'imiter, mais d'inventer,
qu'il ne soit plus seulement question d'être connu, mais d'avoir du talent, 
qu'il ne soit plus seulement question d'être serein, mais accompli, 
qu'il ne soit plus seulement question d'être original, mais  fou, 
qu'il ne soit plus seulement question d'être ému, mais bouleversé, 
qu'il ne soit plus seulement d'être ici, mais présent, 
qu'il ne soit plus seulement question d'écrire, mais de construire des mondes nouveaux, 
qu'il ne soit plus seulement question de bouger, mais de danser, 
.... que ta vie soit aussi grandiose que la plus grandiose des symphonies...





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Quand on serre nos mains.


Elle a pris ma main, avec toute la tendresse d'une grand-mère. Dehors, le soleil est réapparu pour quelques minutes, juste avant de disparaître derrière l'horizon. Quelques regards sur le volet baissé en claire voie, sur la télévision en marche, sur un semblant de vie ordinaire et puis à nouveau sur nos deux mains serrées l'une dans l'autre. Il y a tant d'amour dans ce geste, tant de respect  et de souvenirs aux odeurs d'herbes fraichement coupées et de cabanes sous les arbres.
Les yeux fermés, je me suis offert quelques minutes dans cet ailleurs étouffé par les mauvaises herbes du temps. J'ai respiré très fort, pour un peu plus de vie. Je suis partie sur le chemin de mon enfance goûter aux souvenirs posés, la comme des cadeaux juste derrière mes paupières.
Quelques minutes volées à ce présent difficile, complicité par delà les mots et toutes les mauvaises ondes du monde. Voilà ce que nous nous sommes offert et voilà ce que personne ne nous volerait, jamais.
La porte s' est ouverte brusquement, nous arrachant à cet instant d'éternité. Une infirmière est entrée pour une autre prise de sang.





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L'art du temps


Un fou rire. Comme un feu d'artifice. Surprenant, détonant, explosif.
Il y avait bien longtemps qu'Hélène n'avait pas ri. A ce point qu'elle avait même failli oublier les sensations, les larmes qui coulent, les maux de ventre et la mâchoire qui se fige.
Goûter à cette expérience primitive, embrasser quelques secondes l'insolence et la vérité de l'enfance, oublier la gravité du monde, voilà qui lui avait presque redonné vie.
Immersion totale dans le présent, sans calcul ni hystérie.
Toucher le fondement de son être, les recoins oubliés, retrouver un trésor :  ça n'était pas une quête, ce fut juste le cadeau que lui fit la vie à cet instant précis.
Alors, en sortant de chez elle pour se rendre à l'hôpital, elle se sentit moins lourde, bien plus ouverte à la vie dans son essence même.
Elle avait embrassé le monde de la vie, le vrai, l'authentique et elle était bien décidée à souffler ce bonheur aux oreilles de sa grand-mère malade.
C'est ce qu'elle fit. Et le monstre Alzheimer se tut quelques secondes: dans le regard de mamie Paule, l'étincelle se produisit.
Hélène lui prit la main et la lui serra un peu plus fort que d'habitude. Dehors, il pleuvait à torrent, le vent jouait la symphonie pour des oiseaux que l'automne avait fait fuir et la nuit avançait à petit pas.
Rien ne serait grave. Plus jamais.



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Vite !


Je crois qu'il est tant qu'on réalise que nous sommes dans une ère où la littérature s'imprime sur du PQ, où les informations deviennent envahissantes, où les artistes de tous genres, partout, poussent comme des mauvaises herbes à une allure vertigineuse. Grâce à internet, on se sent libres et heureux de pouvoir goûter à tout, de toucher à tout, tout ce que l'on peut, parce que tout va trop vite. On aime et puis très vite, on ignore, nous passons à autre chose, zappons ! Zappons vite ! Pousser par l'idée de manquer de quelque chose. Mais de quoi ? Nous ne savons même pas finalement, mais on désire toujours plus. Et puis on se perd dans des stéréotypes influencés par les médias, les faits de mode. Pourtant n'oublions pas que le but pour chacun de nous et de trouver l'essence brute, indéfiniment maquillée, qu'il faut chercher en dehors de toutes formes figées, de toutes les écoles, méthodes, mécanismes sociaux et normes artistiques. Prendre le temps de savourer, perdre le fil, et puis le recoudre à sa façon. Prendre le temps de puiser toute la richesse de cette chose que l'on aime à l'instant même. Le maximum. Grandir. Bref. Le lapin blanc va passer. Vite, vite, vite, VITE ! PLUS VITE BORDEL !





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2 + 2 = 5



Dans la vie, qui a tort ? Qui a raison ? Je ne sais pas… Ou plutôt si je sais. Personne. Personne n’a tort, personne n’a raison. De quel droit pourrais-je dire "C’est moi qui détiens la vérité" ? À moins d’être un dieu, je ne vois pas…

Si j’avais envie, tout d’un coup, de dire que 2 + 2 font 5. C’est mon droit, je fais ce que je veux parce que je veux croire que tout est possible. Du moins je crois aux "pourquoi pas" de la vie. Qu’est-ce qui m’empêcherait de dire que 2 + 2 font 5 ? La science ? Le bien-pensant public ? Mon ancienne prof de maths ? Je vous signale que c’est nous qui avons créé tout ça. Tout peut s’expliquer mathématiquement parce que nous l’avons voulu ! Nous travaillons peut-être, depuis le début, avec des données et des calculs erronés ! Qui sait ..

Je parle des maths, mais tout peut être remis en question ! C’est l’un des avantages de la vie, de la liberté. De faire travailler ses méninges, d’oser, de sortir des conventions, de croire, de rêver, d'aller plus loin que la pensée unique… Qui sait.

Alors si nous arrêtions un moment avec nos "C’est moi qui ai raison !", "c’est toi qui as tort!", "c’est comme ça qu’on fait", "C'est moi qu'à la plus grosse". Même si on paraît toujours aussi con que son voisin, ça vaut le coup, pas vrai ? Et si nous arrêtions de chercher à savoir ce qui est juste, ce qui ne l’est pas et se faire notre propre opinion dans notre propre vie ? Arrêtons avec nos conneries de vérités, de conventions, d'habitudes.

Au fond, personne ne sait ou tout le monde sait, mais dans le cadre de votre réussite professionnelle, je vous déconseille fortement de crier sur les toits que 2 + 2 font 5… A moins que... Voilà un beau "Pourquoi pas".




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Fragile symphonie.


La date: 25 mai 2013; l'heure: 17H30, le lieu (Abords du Jardin des géants, Lille, 59): assise sur les marches, regardant dans la direction du bassin central (bruits de conversation derrière).
Le temps: le ciel hésite entre pluie et éclaircie.
Les canards ont rejoint leur mère. Ils sont au nombre de quatre, identiques à quelques détails près, effectuant le même trajet, avec dans le geste l'exactitude d'un ballet d'opéra. C'est l'heure du repas: des visiteurs ont jeté croutons de pain sec et miettes de gâteaux. Pas besoin de chasser, la nourriture est à volonté et à disposition. Des enfants rejoignent le parc, l'étude est finie.
J'entends parfois des voitures qui freinent: la sortie des bureaux rend les conducteurs pressés et impatients surtout.
Nous sommes maintenant deux sur l'escalier. Le soleil l' a emporté pour quelques secondes et fait presque oublier les gros nuages noirs menaçant le timide printemps .
L'immensité n'a pas de mensurations, ce qui coule à l'intérieur de mes veines à cet instant-la a le goût du bonheur: le vrai, celui qui n'attend rien, celui qui dévore juste le présent et ne fait pas de bruit. La vie, subtile, gracieuse et presque timide s'insinue en moi et arrache à ma conscience une clairvoyance sans pareille. Mes pensées, mon corps, la pression artérielle qui régit ma circulation sanguine, le rythme de mes pulsations cardiaques n'y sont pour rien. Il s'agit juste d'une harmonie entre ici et  maintenant. Une symphonie improvisée, jouée en toute liberté pour les libellules ou le vent.
J'ai su la percevoir. Sans préméditation. Je me suis fait surprendre par l'intensité de la vie dans ce qu'elle a de plus grandiose et de plus simple.
Je sais qu'à ce moment-la, j'ai été heureuse.



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Avec le temps va...


Il est quatorze heures. Dans le salon, ils ne se sont pas donné rendez-vous. Pourtant ils sont réunis devant l'écran plat dernière génération que certains ne voient même pas.
Près de la fenêtre, Hélène, cent ans depuis avril est absorbée par l'émission sur les singes que diffuse la première chaîne. Près d'elle, la muette est assise. Coupée du monde depuis bien longtemps déjà, seul son corps amaigri habite la pièce. Et là, près du bouquet de fleurs artificielles, Mathilde chante pour des spectateurs invisibles ou pour le vent.
Lucie n'est pas vraiment présente, les yeux perdus dans le vide, elle a retiré ses appareils auditifs, histoire de se déconnecter totalement de ce monde qu'elle ne comprend plus vraiment.
La maison de retraite, voilà comment on l'appelle... peut-être juste parce que lorsqu'on vieillit et qu'on n'est plus capable de se débrouiller seul, il faut se retirer du monde. Se retirer de ce monde trop pressé, trop petit, trop égoïste. Laisser la place. Ne pas déranger ses enfants et petits enfants qui n'ont pas une minute à perdre pour leurs ainés.
Sophie a bien compris l'enjeu. Depuis dix ans qu'elle vit ici, juste quelques visites de ses enfants partis vivre dans le midi, juste quelques coups de fil passés à la hâte par des petits enfants dont elle ne reçoit même plus les photos.
Autour de la table du salon,trois têtes blanches jouent au jeu de l'oie. Raymond, ancien avocat, ne sait plus vraiment compter. Il faut lui rappeler un nombre incalculable de fois qu'il faut attendre son tour. Béatrice, elle, a encore toute sa tête. Seulement ses mains ne fonctionnent plus comme elle le voudrait. Attraper un pion relève de l'exploit et dessine sur son visage l'expression d'une douleur bien trop souvent ressentie.
Bientõt l'heure du repas. Les estomacs ne sont pas affamés, mais c'est comme ça. Ici on ne choisit plus de manger lorsqu'on a faim. Il faut laisser une grosse part de sa liberté sur le pas de la porte.
Les fauteuils roulant s'amassent devant l'ascenseur. Les déambulateurs déambulent et quelques rares valides se déplacent fébrilement.
Il faudra manger. Ingérer ses médicaments pour survivre encore.
Le chien de madame Hubert s'est installé dans la résidence pour suivre sa maîtresse, jusqu'au bout du chemin. Désormais ce sont les aide-soignantes qui gèrent ses promenades. Oubliées les escapades dans le jardin près du lilas.
Il y a aussi Népal. Népal le vieux chien tibétain dont la maîtresse est partie au ciel il y a deux ans. Elle l'a laissé là, avec panier et gamelle. Il se fout d'être la mascotte de l'établissement. Il se sent abandonné. L'odeur de ses maîtres s' en est allée, un soir de grande tempête. 
Ici le temps ne suspend pas son vol.
Ici la vie n'est plus vraiment la vie. Mais elle n'est pas encore la mort.
Ici on est souvent oublié.
Ici on finit par ne plus savoir qui on a été.
Ici on entend le bruit des cuillères à soupe dans les assiettes à dix-huit heures précises.
Ici on attend avec impatience son petit cachet pour dormir.
Ici on commente tout ou on se tait pour toujours.
Mais aujourd'hui Roberta a le sourire jusqu'aux oreilles. Elle a mis son joli collier couleur cerise. C'est dimanche et le pot-au-feu, la tarte aux pommes et la salade de fruits l'attendent chez sa fille. On ne l'a pas oubliée, elle. Elle ne réalise pas vraiment qu'elle est sa chance, mais elle est heureuse.
Ce matin,quand on lui a annoncé la nouvelle, elle a tout de suite voulu qu'on lui mette son parfum préféré. Sorte de rituel synonyme de jour de fête.
Roberta ne désire plus rien d'autre que la main des siens pour l'accompagner sur ce chemin parfois tellement hostile qu'elle ferme les yeux même en plein jour. Aveuglée par le temps qui passe, perdue dans sa propre vie, elle est encore et malgré tout portée par une toute petite flamme au fond du coeur. La vie brûle encore entre ses veines, subtilement, sublimement, poétiquement.








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Rien n'est grave


Madame la vie,
Cela fait quelque temps que je souhaite vous écrire, mais vous le savez, le temps passe, le temps presse, la fatigue, les priorités et tout ça...bref.
Ce soir, je prends quelques minutes du temps que vous m'offrez si généreusement pour vous remercier. Je vous l'avoue, j'ai parfois perdu patience, j'ai parfois même oublié le seul goût du bonheur, j'ai parfois cherché à percer votre mystère au milieu de mes peurs les plus assassines, j'ai parfois même douté de vous. J' ai douté parce qu' il faut parfois être endurant sur la route que l' on se trace, ne pas lâcher ses rêves, les tenir bien fort contre son coeur...
Pourtant j'ai  bien failli lâcher prise. Peut-être cela m'arrivera t il encore, mais j'aimerais me souvenir de ce que je ressens à l'instant précis où je m' adresse à vous. Ce soir, je prends conscience dans ma personne toute entière (d'autres diraient corps et âme ), que j'ai une chance énorme d'avoir croisé le chemin d'amis comme ceux-là. J'y ai songé sur la route, tout à l heure alors que le soleil m' offrait sa plus jolie lumière sur le trajet du retour.
Pas une seule peur, pas une seule angoisse, des envies par milliers et le cap maintenu sur mon essentiel. Voilà, je crois que vous savez presque tout.
Remerciez ces gens-là en leur offrant autant de bonheur que celui que je ressens maintenant.
Ces amis si précieux se comptent sur les doigts d'une main, cela m'importe peu : on ne gagne aucun trophée à avoir mille amis.
Et puis on ne les possède pas, on les aime juste en les regardant être ce qu'ils sont.
 Je vous prie, madame la vie d'accepter mes sincères remerciements.



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Infinitifs


S'éveiller. Renoncer. S'enrouler. Provoquer le rêve. Percevoir. Caresser. Tendre l'oreille. S'insinuer. Se lever. S'étendre. Prononcer ses premiers mots. Marcher. Hésiter. Bailler. Se libérer. S'étirer. Se faire un café. Sentir. S'installer. Tartiner. Tremper. Dévorer. Prolonger. Eviter. Se préparer. Eprouver. Se contraindre. Se vêtir. Frissonner. Désirer. Haïr. Monter. Porter. Rouler. Parler. Espérer. Froncer quelques sourcils. Plaisanter. Photographier. Formuler. S'installer. Se retrouver. Y retourner. Bailler. Se lasser. Rentrer. S'allonger. Caresser. Goûter.Téléphoner. Lire ses messages. Programmer. Préparer. Laver. Ranger. Descendre. Monter. Nettoyer. S'égarer. Prétendre. Dialoguer. Inventer. Réaliser. Se poser.  Imaginer. Ecrire. Sourire. Parfois pleurer. Attendre. Craindre.Justifier. Hurler. S'interroger. S'impatienter. Ecouter. Trouver les mots. Rassurer. Observer. Partager. Consoler. Pleurer. Sourire. Jouer. Eviter. Désespérer. Voyager en rêve. Rêver d'ailleurs. Se dire que tout est possible. Comprendre. Réussir. Lire. S'enrichir. Entendre. Regarder. Se réchauffer. S'ébattre. Refaire son monde. Dormir. A nouveau.
Autant de verbes cherchant leur sujet pour prendre corps dans la danse de la vie.
Et si vivre c'était conjuguer ?





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Au carrefour de sa vie


A quoi ça sert la vie ?
A cette question elle frissonna.
Combien de doutes, de moments de grâce, de chagrins et d espoirs solides comme la roche faudrait il encore emmagasiner pour entrevoir ne serait-ce qu'une ébauche de réponse à cette interrogation furtive mais pourtant bien présente ?
Ce soir, pourtant elle avait décidé de refermer le coffre aux questions qu'elle emportait partout avec elle depuis tant d'années.
Elle avait décidé d'être légère, de se frotter à l'existence comme sur un tapis de jeu.
Ce n'était décidément pas le moment d'être triste.
Trop de vie à vivre encore.
Trop de choses à ressentir.
Trop d'expériences à écumer.
Trop de couchers de soleil à bouffer des yeux.
Trop de vagues à épouser.
Beaucoup trop pour y renoncer maintenant. Au carrefour de sa vie.



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Fluctuat nec mergitur


Chère Lucie,

Je viens de comprendre ce qui tourne mal dans ta tête.

Selon toi, nous ne sommes rien ni personne, juste un pion parmi tant d'autres, un numéro parmi une multitude de numéros. Nous sommes tous une bande de frustrés, d'insatisfaits et de tarés à un degré différent.

Alors oui je pense qu'il faut arrêter de rêver, il faut avoir les pieds sur terre et se rendre compte à quel point le monde est laid. Cette terre pu l'injustice, pu la méchanceté, l’égoïsme, la connerie humaine. Bizarrement, lorsque je vois des personnes heureuse, je ressens un sentiment de rage qui m'envahit. Je me dis que les gens que je vois doivent être vraiment attardés pour se sentir heureux dans un monde tel que celui là. Nous vivons des petits instants de bonheur à prendre dès que nous le pouvons car ils sont rares mais est-ce que cela fait de nous un être heureux ? pas sûr...

Tout comme l'amour, qui peut dire que l'amour est beau, que l'amour est éternel ? Je te vois ricaner devant mes mots. Tu me déteste je sais. Et voilà : il n'existe que cela entre Amour, et Haine, entre la personne à qui l'on donne son coeur un jour, et à qui l'on souhaite l'arracher l'autre. C'est de là qu'est aussi sublime et mystérieuse la définition que l'on donne à ces sentiments. Les deux mettent le coeur en émoi. Chacun augmente le rytme de nos battements pourtant si réguliers avant. On devient rouge et on pleure pour un rien, on ressent un trop plein de tout, de crier je t'aime, de laisser valser sa main sur un refrain de salsa pour attérir droit dans le visage faussement innocent de celui qui a meurtri notre coeur qui pourrait aimer autant qu'il deteste, qui pourrait hair autant qu'il ressent de l'amour. L'être humain est  tellement compliqué qu'il n'y a qu'une ligne à franchir pour passer du sublime au terrifiant, du sourire bénin de bonheur au rictus inquiétant de la vengeance. Et l'on en est fier, de pouvoir être compliqué, insolvable, en soit. Nous ne nous comprenons pas nous même, alors à quoi bon comprendre pourquoi ne devrions nous pas franchir la limite de temps en temps, sauter par au dessus de la ligne, passer de l'autre coté de la montagne, et devenir en une poussière d'instant ce qui nous ressemble le plus et nous contredit entièrement en même temps.

Faut-il tout de même garder ne serai-ce qu'un peu d'espoir, de folie, de rêve ? Je dirai malgrès tout que oui car si l'on a pas cette ambition de rendre notre vie meilleure ou de croire à des choses impossibles certes mais qui nous rendent heureux, à quoi bon subir ce monde qui nous ressemble pas vraiment ou cette terre qui ne tourne vraiment pas rond ?

Je veux garder un minimum d'insouciance pour ne pas devenir encore plus folle et torturée que je ne le suis déjà... et j'ai pas envie de te ressembler.

Ne me remercie pas,
Ta grande sœur qui t'embrasse.




P.S : N'oublie pas de téléphoner à maman pour lui confirmer que tu ramène ton appareil à raclette dimanche. Gaspard sera de la partie avec les enfants.





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Sonate au clair de lune


Il se sert un verre de Manzana, et il est quatre heures du matin. Il est en train de vivre une expérience assez folle et unique, ce n’est pas la première fois, mais c’est toujours autant palpitant. Vous avez le droit de l’envier, vous qui êtes en train de dormir paisiblement. Dehors, il fait nuit, et même s'il n’a pas mis le pied à l’extérieur, il sait que tout autour de lui la vie est différente. C’est la première étape de la jouissance. L’impression d’être seul, enfin tranquille. Il écoute de la musique classique, et pas n’importe laquelle. Deuxième étape de jouissance. Oh putain le pied. Le gros. Le vrai.

Même si ce n’est pas la première fois, il continue de découvrir un univers qu'il ne peut réellement apprécier à sa juste valeur qu’en pleine nuit. Et il aime ça. Son appétit est féroce. Il pourrait dire que c’est parfait. Il pourrait. Mais il ne le fera pas. Il ne le fera pas parce qu'il ne veut pas ou ne peut pas partager son bonheur. C'est personnel tout compte fait ce qu'il se passe à l'intérieur d'un frisson.

Ne pas discuter musique avec n’importe quel crétin qui pourrait passer par là par erreur. Au fond de lui, il se dit que beaucoup de personnes devraient une fois dans sa vie se tasser dans la pénombre de la nuit, et se laisser submerger par Chopin, Mozart ou encore Bach. Plus de dix minutes s’il vous plaît, et en faisant réellement le vide dans votre tête. Juste écouter son imagination raconter des histoires au rythme des mélodies. Essayer aussi un jour de grandes foules dans un supermarché, avec les écouteurs dans les oreilles. Arrêtez-vous en plein milieu d’une allée, et c’est également le pied !

Il est quatre heures quarante-deux. Il aime beaucoup Ludwig, tellement qu'il pourrait lui faire l’amour. Heu... Tant que sa musique ne s’arrête pas, et qu'il n’ouvre pas les yeux… Rien d’intéressant encore une fois. Une passion reste une émotion, le hurler pour ne rien dire, encore et toujours, c'est comme des courants d'air en trop. C’est fou, mais après tout, il en a rien à battre de ce qu'ils peuvent penser de ses goûts. Et après tout on s’en fou. On se fout de tout, nous sommes rock’n’roll, comme notre bon cher Ludwig Von Beethoven. Dernière gorgée. Son verre est vide. Il ferme les yeux, il tend les bras, il retourne dans sa pénombre et la musique l’emporte loin, très loin.





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Cent ans


L'évènement a été annoncé la semaine dernière déjà. Affiché dans l'ascenseur, sur le tableau du hall d'entrée, on a pris soin d'écrire en lettres majuscules le prénom d' Huguette.
Ici, chaque date est inscrite en caractères gras, il y a finalement oujours quelque chose à célébrer.
Ici, il est grand temps de se persuader que chaque jour est une fête. Le temps presse ...
Dans la salle à manger ce midi, le bruit des couverts sonne différemment. Le silence qui l'accompagne est bien moins pesant. Le rituel du repas prend des allures de réception.
A sa table, Huguette semble sereine, elle arbore le même sourire qu'hier et avant hier.
Elle mange son yaourt à la banane avec les mêmes gestes huilés depuis toutes ces années. Elle occupe pleinement son présent.
Autour de la table d' Huguette, quelques regards semblent différents. Huguette est la vedette du jour.
Dans la cuisine, on s'active. En plus du repas habituel avec entrée, plat, fromage et dessert, il faut préparer le goûter.
Bientôt le défilé de fauteuils roulants va avoir lieu. Cérémonial réglé au millimètre, il s'agit de ramener chaque résident jusqu'à sa chambre.
Embouteillage quotidien devant l'ascenseur. Les regards échangés remplacent les mots. Ici les codes sont différents, les rituels sont à la fois rassurants et angoissants. On se perd un peu à regarder les infirmières tellement occupées à remonter chacun dans sa chambre au plus vite. On ne sait plus vraiment quelle est la place qu'on tient ici : pantin, vieillard ou enfant. Ca dépend de l'heure, ça dépend de l'humeur, ça ne dépend de rien du tout parfois. C'est comme ça.
Lucienne préfère faire sa sieste dans le salon commun. Entourée d'autres coeurs fatigués, elle se sent rassurée. Louise quant à elle n'est pas fatiguée, elle retrouve l'écharpe en crochet qu'elle tient à offrir à son aide-soignante préférée.
Madame Pinateau n'est pas descendue avec les autres. Trop épuisée par la maladie et le temps qui passe, elle est restée accrochée à sa bouteille d'oxygène dans sa chambre numéro 127.
Bientôt tout sera prêt. Les assiettes propres et les nappes jaune paille seront dressées sur chaque table. La directrice vient vérifier que tout se passe bien.
Huguette, elle, s'est endormie sur son lit. Malgré sa bonne santé, une santé de fer dirons les autres, elle sent tout de même sa mécanique un peu rouillée.
Il est presque 16 heures. Le ballet des fauteuils roulants va reprendre, l'entracte est terminé.
Esther se presse. Tout le monde doit redescendre dans la salle à manger. Pas question de perdre une minute. Elle termine dans une demie heure. Elle doit ensuite aller chercher ses enfants à l'école, s'occuper du goûter, des devoirs et du repas du soir.
Huguette a terminé sa sieste réparatrice. Un petit coup de brosse, on réajuste son col de chemisier, direction la salle à manger.
Ils ont tenu à célébrer ses cent ans. Elle a la sensation d'avoir gagné une course où chaque mètre représente une année. Elle refuse de dérouler le film de sa vie. Pas maintenant. Elle est heureuse d'être là, vivante, tout simplement. C'est drôle comme son anniversaire rend les autres joyeux. Peut-être qu'ils se disent que leur propre fin est encore loin, très loin. Et ça les rassure.
Ma grand-mère, elle, n'a pas cent ans. Mais elle est déjà si fatiguée ... son coeur est usé il paraît. Usé, il bat encore pour la vie et avec les autres, elle la célèbre à sa façon. La musique l'attire quelques minutes dans un présent bien plus doux qu'à l'ordinaire: La Madelon la fait même chanter et taper dans les mains. C'est à la fois douloureux et joyeux.
Ici la vie qui coule encore prend une dimension bien plus touchante pour qui en connaît le prix.
Des parcours individuels, des chagrins, des bonheurs immenses, des histoires d'amour : chacun a eu son lot. Et tous se sont retrouvés ici. Pour vivre encore un peu, ou beaucoup. Ca personne ne le sait.





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Convoi exceptionnel


Paris. Métro ligne 4. Un dimanche de mars presqu'ordinaire. Les corps s'amassent dans l'espace restreint des rames, alors les plus pressés n'hésitent pas à jouer des coudes pour s'imposer et entrer dans la boîte. Quelques conversations perçues parmi le tumulte ambiant me rappellent que l'humain  a encore ses droits.
Il est pourtant très facile ici de basculer dans un ordre des choses où l'on oublierait trop vite qu'à peu près cinq cents coeurs battent en même temps pour la vie. On finirait par penser que l'inhumanité est la dernière mode, que les casques et les claviers ont raison de tout, même de nos plus grandes émotions.

Un couple de cinquantenaires rejoint le convoi, du buis à la main. Un petit garçon tient fermement la main de son père pour ne pas tomber au prochain freinage de l'engin souterrain.
J'ai le corps fatigué, usé presque. 
Je ne suis plus vraiment habituée à cette foule, à cette course insensée dans les couloirs labyrinthiques. Je n'ai plus vraiment la force d’accélérer le pas. Je suis un pantin désarticulé qui gêne la course obligatoire des habitants de cette fourmilière inhospitalière.
Une place se libère. 
Cette fois, je revendique mon droit au repos. Assez d'être polie, généreuse et soucieuse des autres: ici on n'a pas le temps pour ça. Assise enfin, je prends le temps d'observer les visages qui m'entourent.
Un homme d'une soixantaine d'années me fait face. Mon regard se pose immédiatement sur un reste de moustache si jaune que le gris du décor en devient bien moins glauque.
C'est indéniable. Cet homme a mangé des fleurs de pissenlits. Et le tunnel de béton se transforme en jardin.



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Encore un matin


Au milieu de ce dédale de signes, j'avais fini par m'inventer un rôle d'espionne. J'étais prête à tout pour en finir avec le mystère.
Le vent frais qui soufflait ce matin-la n'en finissait pas de geler mes pensées, telles des perles précieuses dans une huitre malmenée par les mouvements capricieux de la mer.
Je n'y avais d'abord vu qu'un graphisme approximatif, à peine l'image d'un visage.
En regardant le ciel  limpide de ce matin inoubliable, j'avais la sensation que cet homme était comme une imprégnation de mes désirs les plus fous..
Et si par hasard un goût de sang me venait dans la bouche, j'avais décidé de ne céder à aucune nouvelle déstabilisante, de continuer à construire des rêves multicolores...
Quelle apparence avait-il désormais ? Quel masque avait-il choisi de porter pour couler plus paisiblement sur la rivière de ses désirs ? J'avais au fond de moi, encore tellement présente, cette tendresse particulière pour lui.
Lui dont l'écriture m'avait tellement portée lorsque j'étais adolescente.
Sa beauté n'y était pour rien, c'était juste un avenir bien plus audacieux qui s'affichait sur l'écran de mes pensées à cet instant précis. Juste en pensant à lui.



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Seul le désordre crée.


Seul le désordre crée.
A ces mots la jeune femme frissonna.
La chanson mille fois entendue n'avait  peut-être jamais vraiment été écoutée avec les oreilles du coeur et des tripes.
Dans la voiture, elle se sentit tout à coup envahie par un souffle de vie aussi puissant qu'un cyclone.
Quatre mots intimement ressentis, qui firent écho dans chacune de ses cellules.
La vie ne l'avait pas vraiment gâtée ces derniers mois -si tant est qu'on puisse attendre de l'existence les évènements comme des cadeaux-  la preuve: de grosses cernes tapissaient la moitié de son visage aussi blanc qu'un linge bouilli.
A force d'épreuves, de peurs et d'angoisses qui la saisissaient comme un collet, elle avait presque renoncé à une étincelle, même furtive, d'allégresse.
Et puis ces quatre mots-la l'avaient surprise un soir de mars.
L'évidence-même.
Au coeur de ce fouillis d'évènements malheureux, elle s'était trouvée, le temps d'une seconde, capable de transcender sa propre vie.
Bien sûr, il lui arrivait parfois de se surprendre à rêver d'un ailleurs ou d'une autre fois bien plus paisibles. Mais c'était comme si cette pensée n'était pas incarnée : une sorte de fantôme d'idée, sans drap blanc, plus léger qu'une brise d'été.
Mais cette fois c'était bien différent. Elle avait ressenti très très fort le sens de ces quatre mots.
Presque elle se serait arrêtée sur le boulevard pour l'écrire ou le hurler de suite.
Seul le désordre crée, Seul le désordre crée, Seul le désordre crée, Seul le désordre crée, Seul le désordre crée...
Elle avait compris alors ce qui coulait dans ses veines depuis tout ce temps : une envie incroyable de prendre de l'envol, d'agrandir son angle de perception des choses et du monde, une envie de créer comme jamais.
Juste parce qu'à force d'endurer, la cage se faisait bien trop petite.
Inventer des mondes insensés,
Créer l'impensable,
Edifier des mondes imaginaires,
Sublimer ce désordre jusqu'à le rendre beau, touchant, bouleversant.
Voila ce qu'elle avait compris grâce à l'homme qui avait écrit les quatre mots.
Finalement, il l'avait placée devant sa propre vérité.
Oui, l'art pouvait désormais changer le monde, et surtout le sien ...





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Alors, c'est ça la vie ...


Accrochée à un je-ne-sais-quoi invisible, elle se balance entre bonheur et désespoir.
Sa vie est une balançoire au fil de soie prêt à rompre à tout instant.
Sa vie aux mille couleurs, sombres ou lumineuses, mais jamais fades,
Sa vie aux rêves insensés comme des étoiles filantes pour embellir son ciel,
Sa vie aux points d'interrogation infinis et dérisoires,
Sa vie aux sursauts de joie aussi fulgurants qu'intenses,
Sa vie aux désespoirs troublants et tenaces,
Sa vie qu'elle ne vit parfois pas tant elle la pense,
Sa vie auprès d'autres vies tellement différentes,
Sa vie aux lassitudes acérées,
Sa vie aux cris jetés au silence,
Sa vie aux explosions de joie comme des feux d'artifice,
Sa vie qu'elle ne vit pas toujours,
Sa vie qu'elle ne comprend parfois pas,
Sa vie qu'elle déteste et honore à la fois,
Sa vie qu'elle voudrait embrasser comme pour la réconforter,
Sa vie comme un chaos au bord du monde,
Sa vie comme un cadeau précieux et fragile,
Et elle se balance, dans un va-et-vient presque comique pour le spectateur,
Elle se balance et laisse couler le mystère tout en cherchant encore sa place,
Elle se balance parce que c'est peut-être probablement ça aussi vivre :
Grandir de nos désespérances, être de plus en plus soi malgré les tempêtes et sortir libre de ses échecs.






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L'amer à boire


L'amour c'est comme l'amitié : faut trouver les bonnes personnes au bon moment et enrichir cette relation au fil des jours avant qu'elle ne s'épuise et se termine. Nous sommes tous différents, nos manières d'appréhender un obstacle ne se ressemblent pas, nous n'interprétons pas la forme d'un nuage de la même façon, nous changeons, pas en même temps et nous grandissons, différemment.

Alors les gens s'éloignent, les habitudes se modifient. Nous l'acceptons tous, plus ou moins bien. Reprendre à zéro, certains en seront toujours incapables, d'autres n'attendent que cela. Nous avons des façons de réagir bien inégales, tout n'a pas la même signification aux yeux de tout le monde, et tous ne se relèvent pas d'une chute. Certains vivront bien ce qui nous fera souffrir de longues années, et seront blesser à mort par ce qui nous parait anodin. Nous sommes des êtres humains, imparfaits avec nos défauts, nos guerres et notre égoïsme, mais dans toute notre indifférence, il faut retenir que ce qui nous rend plus fort, c'est que nous ne seront jamais vraiment tous égaux dans notre manière d'être... Nous sommes des roses fanées, capables de donner le meilleur, la beauté au monde, mais dont la noirceur a éteint à tout jamais tout trace de renouveau, d'avenir flamboyant ou d'amour véritable. Jusqu'à tomber à terre, nous décrocher de la branche, nous éteindre véritablement, et disparaitre, sans avoir jamais changer le monde, sauf peut être en pire. Enfin c'est ce qu'on veut bien nous faire croire.

Dans la vie, tu as une multitude de ressentis, d'interrogations, d'attentes. Nous sommes tous attirés par l'impossible, l'inconcevable, l'irréel...
Dans la vie, tu auras appris d'abord à avoir mal, à serrer les dents, à prendre les voiles. Tu auras souffert, au cœur surtout, les larmes à l’œil, la corde au cou. Tes sanglots se seront entendus dans le silence opaque de la nuit, comme un murmure, un cri sourd, une douce mélodie. Sous tes yeux assombris se sera creusée la fatigue de tes heures sans sommeil. On t'aura fait du mal bien sûr, on t'aura brisé le cœur à croire que plus jamais tu ne verras meilleur. Mais sous ces coups, ces blessures, ces attentes, se seront cachées les morsures, celle du temps, de l'amour déçu, de ces interminables attentes... La cicatrice aura finalement disparue, mais faut-il tourner la page ? Évidemment. Il faut sentir son cœur battre à nouveau, fermer les yeux et rêver mieux, oublier ces maux. Cela est parfois dur de devoir oublier, tourner la page, la raturer. Mais il le faut bien à un moment, histoire de ne pas se perdre soi même.
 
Et puis regarde aujourd'hui, les secondes se sont égrenées, et dis moi sans mentir, la vie n'est-elle pas belle à en crever ? Putain de contradiction, la vie est aussi belle qu'horrible... mais tout ça c'est loin, t'es plus tout seul maintenant et il a suffit d’un mot, pour que ton cœur ai une raison d’y croire.




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Métro, boulot, dodo


Ce matin, il se lève l'heureux, car son radio-réveil s'est mis en marche au moment d'une de ses chansons préférées. Heureux de prendre une douche bien chaude, et surtout heureux d'avoir acheté ce gel douche odeur caramel. Heureux de poser ses mains sur une tasse de café chaud lorsqu'il fait si froid dehors. Heureux de le boire derrière la fenêtre en prenant cinq minutes juste le temps de regarder les nuages danser dans le ciel. Heureux de retourner dans la chambre poser un bisou sur le front de son amour qui ronfle profondément. Heureux de mettre ce nouveau pantalon qu'il était allé s'acheter pour se faire plaisir. Heureux de l'air frais qui caresse ses joues, heureux de sentir ses mains se réchauffer dans ses poches. Heureux de rentrer dans la galerie souterraine du métro, en écoutant son lecteur Mp3. Heureux d'avoir découvert un super chanteur le week-end dernier et de l'écouter en boucle depuis, d'abuser de ce plaisir.

Heureux au feu rouge de chercher quelque chose de beau, de drôle autour de lui, trouver quelque chose qui lui rappelle de joyeux souvenirs. Heureux de voir aujourd'hui les premiers flocons de neige débarquer dans le paysage. Heureux de recevoir un texto au travail. Heureux d'y sourire, d'y répondre. Heureux de se dire que son salaire pour lequel il est en train de travailler va lui permettre de construire des rêves à venir. Heureux de voir des images défilaient dans sa tête. Heureux à l'idée de chercher le moyen de les concrétiser. Heureux de se dire qu'aujourd'hui nous sommes mercredi et que dans deux jours, c'est le week-end. Heureux de montrer à son collègue qu'il trouve ses blagues drôles même si elles sont très douteuses, au moins il rend quelqu'un d'heureux et ça le rend heureux.

Heureux que la journée tire à sa fin. Heureux de voir le bus arrivé, car dedans, il y a le chauffage. Heureux de trouver une place et d'écouter avec son lecteur Mp3 le chanteur qu'il adore de plus en plus. Heureux d'écouter ses chansons en boucle. Heureux de voir à travers les vitres toutes ces lumières de la ville à la tombée de la nuit. Heureux de voir le coucher de soleil qui se cache derrière des immeubles.

Heureux de rentrer chez lui, dans son cocon. Heureux d'enlever ses chaussures après une journée de travail et de glisser ses pieds dans des chaussons doux. Heureux d'allumer son ordinateur pour se connecter à ce qu'il aime. Heureux de préparer à manger par amour. Heureux de couper des oignons, de pleurer et de les jeter dans une poêle chaude, l'odeur du bon manger le rend heureux. Heureux de partager le repas avec sa moitié. Heureux de lui dire que ce week-end, il irait bien flâner dans une brocante à la recherche d'un vieux vinyle dont les grésillements le rendent heureux. Heureux que sa moitié accepte. Heureux à l'idée de trouver des disques du chanteur qu'il aime de plus en plus. Heureux à l'idée de compléter sa discothèque. Heureux de poser sa tête sur le coussin moelleux du canapé. Heureux d'une lumière tamisée. Heureux de la fin du film. Finalement, il était génial. Heureux de découvrir un réalisateur dont il faudra voir d'autres œuvres de sa filmographie. Heureux d'apprendre que son prochain film sort bientôt du cinéma.

Heureux de se glisser sous une couette chaude en excellente compagnie. Heureux de se dire qu'une journée vient de passer et que demain est un autre jour. Heureux de se sentir confortablement bien dans son lit car il est fatigué. Heureux que le sommeil arrive et heureux d'imaginer faire de beaux rêves...

Bref métro-boulot-dodo, une journée de routine comme ils disent.





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